Décision ultime

Adossé au grand chêne qui l’avait vu naître des années auparavant, il tentait de graver dans son esprit chaque détail du paysage qui lui faisait face sachant qu’il s’agissait là de son dernier voyage en ces lieux ancestraux.

Tandis que son regard se portait sur l’horizon qui se colorait peu à peu de teintes crépusculaires, il se prenait à regretter de n’avoir pas prêter plus d’attentions aux beautés l'entourant lorsque le temps ne lui était pas encore compté.

Pourtant, même à la pensée qu‘il ne reverrait jamais plus un tel spectacle, il ne parvenait pas à regretter la difficile décision qu’il avait prise officiellement. Il avait beau réfléchir, il lui semblait que jamais auparavant il n’avait dû faire un choix aussi cornélien que celui auquel il avait été confronté cet après-midi.

Il se souvenait avoir vacillé à l’annonce des reproches qui lui avaient été faits, tout comme il revoyait avec une netteté affolante les évènements qui avaient suivi la grande proclamation ; l’effondrement et les pleurs de sa chère mère, la colère difficilement maitrisé de celui qui lui avait tenu de père , la pitié mal cachée de celle qui avant ce jour lui était promise et surtout le regard hostile des habitants qui l’avaient vu grandir année après année.

Sur le moment, il lui avait semblé que ce n’était pas sa vie qui se jouait. Il avait pensé que le cas d’un autre habitant avait été traité avant le sien et qu’on avait omis d’annoncer à la population ce changement de dernière minute. Jusqu’au dernier moment il s’était dit que ce ne pouvait pas être la réalité et que cette angoisse qu’il sentait le tenailler n’était que le fruit d’un de ses nombreux cauchemars.

Il avait fallu que l’Ancien, qui s’était déplacé jusqu’à lui, prononce son nom deux fois de suite pour le ramener sur terre. Dès lors, il avait lu dans les prunelles argentées que tout avait vraiment eu lieu et que le choix de sa sentence lui incombait.

Fébrile, ne sachant ce qu’il devait faire, il avait cherché son tuteur dans la foule qui était maintenant pendue à ses lèvres dans l’attente de sa décision. Il l’avait vite aperçu se tenant sur sa droite, le regard haut et fier comme si rien ne pouvait les abattre lui et les siens. Un regard qui lui avait permis de puiser en lui le courage et la force de prononcer ces mots difficiles ; ceux qui le condamneraient à partir dès la tombée de la nuit.

Il savait pertinemment qu’en faisant ce choix, il avait changé pour toujours le cours de l’existence de plusieurs personnes qu’il aimait et qu’il en résulterait une souffrance qui lui serait difficile de faire taire mais il s’était promis que rien ni personne ne lui ferait regretter ce choix.

A cette pensée, il sentit son cœur tressauter tandis que sur son visage, une minuscule perle d’eau salée laissait échapper des sentiments qu’il se refuserait à montrer lorsqu’il ferait ses adieux à ceux qui avaient été les siens.